Acouphène : du bruit par-dessus les oreilles

AcouphenesBeaucoup de personnes souffrent d’un acouphène et souhaitent qu’on essaye d’enregistrer le bruit qu’elles entendent. C’est exceptionnellement possible que dans 5% des cas ! Pour les 95% des cas restant, l’acouphène est dit « subjectif ». C’est-à-dire que seule la personne handicapée par ce bruit est capable de l’entendre. L’enregistrement de la perception auditive n’est pas réalisable et l’on a très rarement la possiblité médicale de faire disparaître cette gêne. Il y a beaucoup de recherche aujourd’hui sur la prise en charge de ce type de problème.

 

Pour en savoir un peu plus, je reçois aujourd’hui dans notre premier « Face à Face » le Professeur Bruno Frachet. Otologiste, chirurgien de l’oreille. Il  exerce à l’Hôpital Rothschild Paris 12è. Il a donné une forte contribution à l’implantation cochléaire, technique qui permet de redonner de l’audition aux sourds profonds ou complets. Pour les acouphènes, dès le début des années 1990, avec son équipe, il a développé une consultation spécifique pour les personnes souffrant d’acouphènes. Il a contribué à la création de la Fondation pour l’audition.

Alain Giraud : Certaines personnes, présentant des troubles auditifs, entendent des bourdonnements, des sifflements et des bruits parasites. On dit alors qu’elles souffrent d’acouphènes. S’agit-il d’une maladie ou plutôt d’un dysfonctionnement lié au système auditif ?

Pr Bruno Frachet :  L’acouphène est un symptôme d’un dysfonctionnement du système auditif. C’est la perception par le patient d’un son qui n’existe pas dans son environnement. Parfois il raconte bien, qu’au début, il a cherché pendant quelques temps sa source… cette perception sonore est toujours au début désagréable. Ce symptôme est assez monomorphe et sa description est assez pauvre… sifflements, bourdonnements, grésillements,  bruit de soupape d’une cocotte minute, TV qui s’éteint… Les mécanismes, à l’origine de l’acouphène, ne sont pas non plus très nombreux : soit acouphène de déafférentation, soit acouphène d’hyperstimulation, soit psychogène. Nous reviendrons si besoin sur ces mécanismes. Les circonstances de survenue sont par contre multiples. Beaucoup de maladies de l’oreille et/ou des voies auditives peuvent en être responsables. Et c’est bien à cela que l’acouphène doit sa mauvaise réputation : difficile de découvrir la cause, et surtout difficile de le faire disparaître.

AG : Quels sont les symptômes qui doivent nous alerter ? On parle d’acouphènes subjectifs et objectifs ! Quelle est la différence ?

Pr BF : Toujours au chapitre de la mauvaise réputation, l’acouphène dans la très grande majorité des cas est dit subjectif : il n’est perçu que par le patient. Personne d’autre ne peut l’entendre, sauf … s’il est objectif. Analyser un acouphène subjectif s’appuie sur les mots du patient pour expliquer son mal et sa souffrance. Malgré de nombreuses tentatives, l’acouphène subjectif ne peut pas être enregistré par un moyen quelconque. L’acouphène objectif est son opposé. C’est par exemple un souffle cardiaque qui se propage auditivement vers l’oreille.

AG : Peut-on affirmer qu’un acouphène est un trauma de l’audition ? Un trauma émotionnel peut-il déclencher un acouphène ?

Pr BF : Le traumatisme sonore est la cause et le mécanisme le plus fréquent à l’origine des acouphènes subjectifs. On est servi actuellement pour les traumatismes sonores, soit professionnels, soit de loisir… Plusieurs de nos gouvernements se sont attachés à réduire ces atteintes en limitant la puissance délivrée par les systèmes de musique embarquée ou les boîtes de nuit. C’est très important car si on sait mal prendre en charge l’acouphène établi, on peut facilement en prévenir la survenue en respectant les précautions qui ont été édictées. Le trauma émotionnel peut être à l’origine d’un acouphène. Mais comme exposé plus haut, le mécanisme est bien différent que pour le traumatisme sonore. On peut retrouver la notion d’une mauvaise nouvelle que le patient a reçue juste avant une surdité brusque avec un acouphène, un peu comme s’il voulait que l’oreille soit « sourde » à une telle nouvelle. Information à toujours rechercher.

 

AG : Y a-t-il un profil de personne plus prédisposée à devenir un patient acouphénique ? (Âge, perfectionniste par exemple)

Pr BF : Oui, très vraisemblablement… Par exemple :

  • une fille qui souffre d’acouphène comme sa mère souffrait du même symptôme avec la certitude que rien ne peut le faire disparaître…
  • les acouphènes sont plus présents dans la deuxième moitié de la vie, car l’oreille a encaissé de nombreux traumatismes sonores,
  • les personnalités perfectionnistes vont plutôt déclencher une résistance à l’habituation (loi générale de l’acouphène) en analysant, recherchant d’un jour à l’autre la moindre variation de son acouphène. Plus on « recherche » son acouphène plus on peut le dépister à des niveaux extrêmement faibles.
  • l’avenir nous le dira : certains d’entre nous ont des « faiblesses » génétiques qui limitent « l’évacuation » des produits de l’audition : l’oreille est une sorte d’usine qui a besoin d’énergie comme le charbon et qui après audition doit éliminer les « cendres »… c’est un mécanisme qui se ferait mal chez certains expliquant l’affaiblissement de l’audition et les acouphènes.

AG : Un acouphène peut-il engendrer une hyperacousie ?

Pr BF : Non, la relation n’est pas celle là : acouphène et hyperacousie sont deux symptôme jumeaux. L’hyperacousie peut déclencher un trouble du comportement : « je ne vais plus aux concerts, au cinéma, au supermarché car c’est insupportable ». Au contraire de l’acouphène : à la question « que vous empêche de faire votre acouphène ? », la réponse est toujours la même : rien ! C’est souvent sur internet que la personne qui souffre de cette audition inconfortable a appris le nom et la description du symptôme. Auparavant il était plus simple et immédiat de décrire à son médecin « son » acouphène. En effet pour une personne malentendante, comment concevoir une oreille qui fonctionne mal aux bas niveaux mais plus fort aux niveaux forts !

AG : Les acouphènes ont-ils une intensité différente suivant que l’on soit dans une position assise ou couchée ?
Pr BF : Oui c’est possible, ce qui doit faire évoquer la présence de liquide dans l’oreille moyenne (otite séreuse par exemple).

AG : Une étude a démontré que dans 90% des otites chroniques chez des enfants, on retrouve des sucs digestifs dans l’oreille moyenne. Cela pourrait-il être le cas également pour les acouphènes ?

Pr BF : Ce n’est pas étonnant. Le reflux acide de l’estomac peut altérer la muqueuse de la l’oreille qui est de nature respiratoire bien moins résistante aux sucs gastriques que la muqueuse digestive. L’acouphène est en général un signe de souffrance à un endroit quelconque des voies auditives, de la toute périphérie dans l’oreille aux centres auditifs, dans le cerveau.

AG : Quel est le traitement médical que l’on va mettre en place ? Y a-t-il de l’évolution en perspective ? par rapport à la libération excessive du glutamate ? Quels sont les progrès de la science pour les cellules ciliées ?

Pr BF : Les techniques sont nombreuses. Il faut savoir les associer et les expliquer aux mieux au patient. Expliquer d’abord ce qu’est l’acouphène. Expliquer que la loi de l’évolution de l’acouphène est bien l’habituation. Dès que le stress de l’anticipation, du retentissement de l’acouphène disparaît l’habituation va pouvoir se développer. « Votre acouphène vous gêne ou il vous angoisse ? ». On peut recourir au TCC, à la sophrologie :

  • Il faut faire entendre le mieux possible quelque soit le moyen (prothèse auditive, voire chirurgie). L’audition qui est désagréable avec son acouphène doit redevenir efficace avec sa prothèse.
  • Prendre en charge les « co-morbidités » : l’anxiété, la dépression, l’insomnie, par tous les moyens ad hoc, soutien psychothérapique, médicaments, autant de solutions à élaborer en accord avec le patient.
  • Idéalement trouver la cause et la traiter, ce qui peut être quasiment miraculeux dans certains cas comme dans l’ototspongiose.
  • Éviter les excitants,
  • Enfin, faciliter l’habituation : mettre en place un masquage sonore.

AG : Quelle prévention peut-on mettre en place lorsque que l’on constate une baisse de l’acuité auditive ?

Pr BF : Entendre permet de comprendre, de communiquer, d’avoir des relations sociales et de retarder le déclin cognitif. C’est prouvé !

AG : Existe-il une technique pour éprouver et mesurer l’acouphène d’origine vasculaire ? Quelles solutions sont préconisées ?

Pr BF : En dehors d’un acouphène objectif qu’on peut alors enregistrer et donc mesurer, l’acouphène subjectif est évalué par des échelles visuelles analogiques. On propose au patient une réglette graduée de 0 à 10. On peut interroger la personne sur l’intensité de l’acouphène mais aussi sur la gêne déclenchée. Les questionnaires sont maintenant bien normalisés. Ils permettent d’aider dans la décision du choix thérapeutique.

AG : Dans le cas d’acouphènes subjectifs, on n’est plus dans la perception. On est dans la sensation, les idées, les pensées. Plus il y a une activation corticale et plus le patient va avoir conscience de son acouphène ! Est-ce que la sophrologie, l’hypnose, les thérapies cognitives et comportementales sont des réponses adaptées ?

Pr BF : Après avoir vérifié que la personne ne présente pas une anxiété, une dépression … qui mériterait l’intervention d’un spécialiste, après avoir réglé la question de la surdité, le recours aux techniques mentales peut être utile. Analyser les conditions de renforcement éventuel, reconnaître les améliorations… seront des objectifs de ces techniques. De même, alors que l’anticipation peut régner en maître dans le symptôme acouphène, la sophrologie permet de se raccrocher à l’instant présent…

AG : En conclusion, quels conseils pourraient-on donner à nos lecteurs sensibilisés par les acouphènes ?

Pr BF : Pour les professionnels :

  • croire à la plasticité cérébrale et donc à l’habituation,
  • savoir expliquer aux patients,
  • exercer en équipe multidisciplinaire.

Pour nous tous :
Prévention, prévention, prévention… l’oreille un peu cotonneuse qu’on ressent quand on sort de la boîte de nuit N’EST PAS un indicateur de bonnes vibrations, de bonne ambiance musicale… C’EST UN AVERTISSEMENT SANS FRAIS. Apprenons la limite entre le plaisir et le danger !

Merci Professeur Bruno Frachet pour toutes ces précisions…

Article Alain Giraud Sophrologue RNCP

Plus d'informations

Les acouphènes – diagnostic, prise en charge et thérapeutique
Coordination Dr. Martine Ohresser
Collection ORL 2017 ELSEVIER MASSON ISBN / 978-2-294-75164-6

Acouphènes, hyperacousie, maladie de Menière, neurinome de l’acoustique
Association France Acouphènes
Éditions Josette Lyon 2017 ISBN/978-2-84319-403-0

L'audition pour les Nuls poche
Françoise BETTENCOURT MEYERS et Pr Bruno FRACHET
Editions First collection « Pour les nuls » 2017
ISBN : 978-2-412-02288-7

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