Marcel Ruffo : la sophrologie, c'est se réapproprier son corps

Marcel ruffoSi la sophrologie ne se substitue en aucun cas à la médecine, elle est de plus en plus reconnue par le corps médical en tant que thérapie complémentaire à la médecine traditionnelle et à la psychologie. ​ Son efficacité séduit tant par sa rapidité d’action que par son peu de contre-indications.  De plus en plus de médecins font appel à des sophrologues pour un meilleur accompagnement de leurs patients à ces différentes pathologies.  Orientée vers une meilleure prise de conscience positive du corps et de ses sensations, la sophrologie permet d’améliorer la perception de son corps et ainsi de mieux l’accepter.

 

Tout en considérant son monde extérieur, non pas comme une fatalité mais plus comme une réalité à laquelle il faut s’adapter, les techniques qu’utilise la sophrologie ont toutes une conséquence positive sur la santé. Pour en parler, j’ai le plaisir de recevoir, aujourd’hui, dans ce nouveau « face à face », Marcel Rufo, Professeur Emérite à l’Université d’Aix-Marseille de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.

Alain Giraud : Professeur Marcel Rufo vous êtes un prescripteur fervent de sophrologie. Le retour au corps est-il pour vous fondamental ?

Pr Marcel Rufo : Oui… Pourquoi cette habitude de prescrire de la sophrologie ?  A l’origine on avait, en suivant le professeur Ajuriaguerra (psychanalyste), mis en place à Marseille une formation de psychomotricité. Il y a bien longtemps. Et très rapidement on s’est aperçu que des pratiques de relaxation et de training autogène rendaient d’extraordinaires services notamment dans les cas de somatisation. Lorsqu’un enfant, par exemple, était paralysé des jambes alors qu’il n’y avait pas de signe neurologique, ce retour au corps vécu sur le plan phénoménologique s’inscrit bien dans la démarche d’Alfonso Caycedo, l’inventeur de la sophrologie qui, lui-même, était psychiatre et phénoménologue. Ce cadre de réflexion et de pensées pouvaient correspondre aux symptôme, il s’agissait alors de trouver le moyen de leur donner un sens :  la Sophrologie est venue dans le droit fil de la psychomotricité et aussi de la phénoménologie.

AG : Quel est la méthode sophrologique qui s’adapte le mieux aux enfants ? Comment procéder afin que l’enfant s’approprie la technique mise en place et comment se mettre à sa portée ?

MR : Cela dépend surtout du praticien sophrologue. Pour ma part je suis très sophrologie Caceydienne. Mais il m’arrive évidemment de travailler avec des sophrologues issus d’autres formations et d’autre pratiques. Je vais vous donner un exemple clinique très précis. Lorsqu’un enfant souffre de somatisation plus précisement de conversion somatique, c’est à dire qu’il a par exemple une paralysie sans aucun signe neurologique, il rejette la psychologie. Il souhaite un geste médical, sinon il a l’impression de ne pas être pris au sérieux. Cependant si on lui dit : « tu vas guérir en travaillant ton corps et retrouver tes sensations », on lui ouvre là une perspective, une chance et après c’est à la sophrologue ou au sophrologue de jouer.

 

AG : La sophrologie permet-elle à l’enfant de retrouver ses ressources pour vivre mieux son quotidien sachant que celui-ci s’apparente de plus en plus à une vie d’adulte : obligation de se lever à heure fixe tous les matins pour aller à l’école, ne pas manquer son rendez-vous sportif, terminer sa journée par ses devoirs ? On note aussi que les centres de vacances ont tendance à disparaître. N’avez-vous pas l’impression qu’on lui vole sa vie d’enfant ?

 

MR : Un temps d’ennui et de rêverie (ce n’est pas péjoratif ce que je dis) devrait permettre la réappropriation du corps grâce à la sophrologie. On est trop dans un moment présent notamment sur les réseaux sociaux qui ont tous leur intérêt par ailleurs. C’est toujours de l’immédiateté alors que la sophrologie sait revenir à son corps, à sa respiration, à la pesanteur de ses muscles, à la perception de son corps propre. Je trouve que c’est un temps à soi. C’est une notion tout à la fois spatiale, une spatialité corporelle et une temporalité retrouvée ! Bien sûr que ça aide dans les avatars que présente notre vie actuelle, dans le tempo. Je discutais l’autre week-end avec une tenniswoman. Je lui disais qu’il fallait qu’elle adhère à des exercices de sophrologie, au changement de côté, parce que, sinon, dès l’instant qu’elle allait gagner, elle s’affolait. Elle perdait conscience de son coup droit qui est son point fort en perdant la latéralité, la notion corporelle, le deltoïde qui est la partie de soi qui permet d’agir. En fait, la sophrologie est un temps pour bien agir après et maîtriser l’espace dans une temporalité adéquate qui correspond au sujet et non pas à l’environnement qui peut-être toxique ou polluant.

AG : Une professeure des écoles d’Aix les Bains en CP m’a confié être dans l’obligation de faire de temps en temps quelques séances de relaxation. Ses élèves parviennent ainsi à mieux se concentrer sur leur travail. D’autre part, elle a remarqué que les enfants étaient de plus en plus nombreux à être agités. Que pensez-vous de la notion d’hyperactivité ?  Est-ce que la perception que nous en avons n’est pas exagérée ?

MR : C’est essentiel en maternelle pour les enfants qui bougent beaucoup et les enfants entre eux et en groupe. J’ai toujours été admiratif de Raoul Barrière (entraineur français de rugby à XV) qui à l’époque, pratiquait la sophrologie et la relaxation avec les « mammouths » du Pack de Béziers. Ces gros « mastodontes » étaient en sophrologie avant leur match. Après ils détruisaient les packs adverses parce qu’ils avaient rencontré leur force avant d’agir. Et là, pour la maternelle, les petits « mammouths »… ce serait très intéressant… Et en  plus, enrichissant pour une meilleure connaissance de soi ! Bon pour les gosses qui bougent un peu mais aussi pour tout ceux qui vont bien et qui ont intérêt à avoir une pratique corporelle. C’est pour cela que la sophrologie est intéressante !

AG : Que pensez-vous du cas de Carole, 14 ans, qui confia à son sophrologue lors de sa cinquième consultation qu’elle voulait aller rejoindre son grand-père décédé aujourd’hui ? C’était la seule personne qui la comprenait vraiment ! Avec lui, elle se sentait bien… et reprochait à ses parents de lui avoir caché sa mort : « Ils ne me l’ont dit que huit jours après… Je ne comprends pas… je n’ai même pas pu l’accompagner au cimetière… J’ai envie de le retrouver… » ?

MR : Là je redeviens psychiatre, je ne réponds plus en termes de ce que je pense de la sophrologie. 30% des enfants ont une notion de dépressivité et 30% ont des idées de mort. Simplement la mort de son grand-père actualise, pour elle, la mort et elle reproche aussi à ses parents de lui avoir caché la vérité. Mais c’est plus compliqué ! Carole a peur aussi de la mort de ses parents et de sa propre mort. Le grand-père lui sert également d’évaluation pour la finitude du temps et justement la séance de sophrologie lui permet, en maîtrisant son temps, de comprendre qu’il est impossible de maîtriser le temps de la mort.

 

AG : Autre cas, celui de Julien 15 ans :« Avant de connaître la sophrologie, précise t-il, j’étais un peu dépressif… C'est-à-dire que je me sentais très mal dans ma peau et que tous les problèmes, je les accumulais en moi. Au bout d’un moment, quand cela devenait vraiment insupportable, je tapais dans les murs pour essayer d’évacuer toute cette colère qui régnait en moi. Depuis que j’ai fait de la sophrologie, je me sens mieux. Je n’ai plus envie de taper dans les murs. En bref, je commence à revivre ». Que peut-on en déduire ?

MR : C’est un des buts de toutes séances de sophrologie : la réappropriation vécue de son corps. Ce garçon était mal pour des raisons que l’on ignore, compte-tenu du peu d’éléments cliniques que nous possédons. Mais il était en auto-violence et il a été auto-recentré sur une reprise de sa corporalité. Et je trouve que c’est un des modèles même de ce que peut apporter la sophrologie.

AG : Comment gérer cette « violence » qui s’installe progressivement chez l’enfant ? La prise charge ne doit-elle pas être familiale avec des parents de plus en plus indisponibles, stressés et parfois même laxiste ?

MR : Attention il y a deux choses importantes : tout discours qui culpabilise les parents est négatif. Il est vrai que les parents ont fait d’énormes progrès, ils sont parfois trop « expliquants », trop proche de leur enfant alors que des frustrations sont nécessaires pour l’enfant et l’adolescent.

AG : Est-ce que la sophrologie peut permettre à des sportifs de mieux se concentrer sur leurs objectifs ?

MR : Sûrement… On a des étiopathes, des kinés et il faudrait un sophrologue dans les sports collectifs et individuels. On attend avec volupté que, par exemple, l’équipe de France de rugby recrute un sophrologue ou une sophrologue.

AG : En France, nous sommes en tête des consommateurs d’antidépresseurs. La Sophrologie n’a-t-elle pas à jouer un rôle de prévention fondamental dans cette surconsommation ?

MR : Si l’on est un peu provocateur, on dira : « La sophrologie, c’est comme l’homéopathie. C’est une médecine douce. Cela a le même résultat que les antidépresseurs ». Les « placebo » ont 30% de résultats positifs comme les antidépresseurs. Alors qu’est-ce que l’on risque à proposer d’entrée de jeu, la sophrologie plutôt que ces derniers. Je vous donne un exemple précis de ma pratique : quand je dirigeais la maison de Solenne à Paris, plutôt que de donner un antidépresseur, je commençais par une séance de sophrologie pour les anorexies. Et Dieu sait si c’est une maladie grave ! De même, je pense qu’en cancérologie les démarches de sophrologie seraient vraiment bienvenues.

AG : Partagez-vous cette idée positive que vous avez de la sophrologie ?

MR : Je la fais partager parce que les médecins, auquels j’envoie un compte-rendu de toutes mes consultations, constatent bien que je prescris de la « sophro ».

À leur tour, ils adhèrent à ce message.

AG : Que pourrions-nous dire en conclusion ?

MR : La sophrologie a intérêt à développer des diplômes universitaires au sein des facultés de médecines comme cela a été fait à Barcelone en Espagne. Je crois que si l’on gagne du terrain sur des diplômes et des formations universitaires, on aura fait un grand pas. En tout cas, moi je rêverais de mettre cela en place à l’université de Corte. Ce serait génial, une formation de sophrologues en Corse. Il y aurait des cours le jeudi et le vendredi et on passerait le week-end en Corse ! Qui refuserait ? Je vous informe que l’université de Corte est partie prenante…

AG : Pour ma part, sachez que l’université de Lille a déjà mis en place, depuis de nombreuses années, un diplôme universitaire en sophrologie sur 3 ans d’études.

MR : Vive Lille !

Merci au professeur Marcel Ruffo d’avoir bien voulu répondre aux questions de ce « face à face ». Vous aurez beaucoup de plaisir à le retrouver dans son dernier livre paru chez Plon et Anne Carrière : « Dictionnaire amoureux de l’enfance et de l’adolescence ».

Article Alain Giraud Sophrologue RNCP

Vous pouvez échanger de vive voix au 06 07 52 12 68 avec votre sophrologue avant de prendre rdv